Historique
Extraits du livre de Franz Volhard, "Construire en terre allégée", Arles, Editions Actes Sud, 2016
« C’est après la Première Guerre mondiale que l’on redécouvre la construction en terre en Allemagne, lorsque les matériaux liés au charbon viennent à manquer et que la main d'œuvre et les ouvriers spécialisés se font rares. En quelques années, plus de 20 000 nouveaux bâtiments en terre sont construits, la plupart dans des lotissements ruraux réalisés en auto-construction [Fauth 1946, 1948].
Un "Comité allemand pour le développement des constructions en terre" se forme. Ses membres créent des centres de formation et de conseil, organisent des congrès et des rencontres pour former les artisans spécialisés. Les quelques échecs, dus au manque d'expérience, sont bientôt surmontés. Les premières recherches scientifiques menées dans des laboratoires d'analyse des matériaux - essais de résistance au feu, résistance à la compression et identification des terres - contribuent bientôt à faire émerger des règles techniques reconnues par tous. Pourtant, malgré le soutien de l'Etat, aucune réglementation officielle n’est promulguée. Le recours à la construction en terre se limite à l’immédiat après-guerre, jusqu'à ce que l'approvisionnement en matériaux industriels et les moyens de transport soient "normalisés". Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, la construction en terre revêt à nouveau un intérêt pour l’édification de bâtiments civils, puisque tous les autres matériaux étaient réservés à la construction de bâtiments militaires. [Hölscher, 1947]. Plusieurs lotissements modèles en terre sont construits en Poméranie à cette époque.
Prévoyant la crise du logement d'après-guerre, un groupe d'experts dont Richard Niemeyer et Wilhelm Fauth, prépare en 1944 un décret visant à unifier les pratiques de construction en terre, afin de ne pas être pris une seconde fois au dépourvu par rapport au Code de la construction. Cette Règlementation de la construction en terre [Lehmbauordnung, 1944] est publiée le 4 octobre 1944 au Journal officiel du Reich (Reichsgesetzblatt).
Après la fin des hostilités, la construction en terre est présentée comme un moyen de construire des logements, des usines ou des fermes malgré la pénurie. Un "Comité allemand de la construction en terre" est à nouveau créé. De nombreux centres de formation et d'information organisent des chantiers école. Par ailleurs, les ingénieurs doivent réfléchir à la rationalisation des procédés de construction en terre, au même titre que les autres matériaux en développant des machines adaptées.
Il est possible de retracer l'évolution des recherches de cette époque au travers de la revue Naturbauweisen (Ill. 131-11) 131-11 et de nombreuses autres publications. La construction en terre n'est plus seulement associée à l'idée d'une architecture de l'urgence et de la pénurie, mais elle est reconnue pour ses avantages économiques et écologiques.
Pourtant, les ouvrages de construction en terre se limitent en Allemagne principalement à l'ancienne zone d'occupation soviétique, où l'administration militaire ordonne en 1947, par l'ordonnance 209 concernant la construction de logements, de construire 200 000 petites fermettes [Hamann 1948], avec l'obligation d'utiliser environ 40 % de matériaux naturels et disponibles sur place. L'économie réalisée grâce aux 17 300 unités d'habitation en terre, construites en deux ans, se monte à 200 millions de briques cuites, 40 000 tonnes de chaux, 110 000 tonnes de charbon et 750 000 tonnes à transporter [Pollack et Richter 1952]. En Allemagne de l’Est, on construit en terre jusqu'à la fin des années 50. Par contre, à l’Ouest, la construction en terre se limite aux années d'après-guerre. Bien sûr, en 1951, l'ordonnance sur la construction en terre, datant de 1944, est transformée en règlementation technique sur les constructions en terre [DIN 18951 1951], et d'autres pré-normes sont éditées jusqu'en 1956 (voir 732). Mais, au sein du "miracle économique" et de la prospérité grandissante, la construction en terre n'a plus sa place. Il est difficile de comprendre pourquoi, en Europe, les nouveaux procédés industriels n'ont pas été appliqués au matériau terre, alors qu'à la même époque, en Amérique - sans pénurie de matériaux - la terre est redécouverte, et des briques de terre, fabriquées industriellement avec de nouvelles méthodes, sont vendues à très bon marché [Vick 1949].
Il est frappant de voir que dans les livres anciens sur la construction en terre, les mises en oeuvre traditionnelles de la terre comme le torchis et ou le terre-paille sont plutôt traitées de manière marginale, bien que la construction à ossature bois ait été très répandue en raison de ses avantages dans les régions nordiques Cela pourrait s’expliquer par la pénurie en bois durant les périodes de crise durant lesquelles la construction en bois a été délaissée : pendant et après les guerres [Speidel 1983]. [ …] En 1971, à une époque où l'optimisme envers le progrès atteint son point culminant, toutes les normes techniques allemandes sur la construction en terre sont retirées, sans appel.
Sous la pression de la raréfaction perceptible de l’énergie pendant la crise du pétrole de 1973, en Europe, mais particulièrement en Allemagne de l’Ouest, les matériaux moins dépendants des énergies, sains et écologiques suscitent un nouvel intérêt. Le matériau terre s’avère alors parfait, mais il était difficile de construire en terre puisque la transmission des savoir-faire avait été complètement rompue et que l’on ne trouvait pas de ces matériaux chez les fournisseurs. Il a fallu lancer des chantiers expérimentaux au début des années 80 avant que la construction en structure bois et terre-paille et la rénovation des maisons à colombage se répandent (en Allemagne). La parution de la première édition de ce livre en 1983 – devenu entre temps un référence - y a notamment contribué.
La redécouverte de la construction en bois dans le domaine du patrimoine est un autre point important, notamment la rénovation et la réhabilitation d’anciennes constructions à colombages. On a tiré les leçons des dommages causés par la pose dans les années 60 de nouveaux matériaux étanches, en privilégiant des solutions plus durables et des techniques plus authentiques.
Si, au début, les ouvrages en terre devaient être forcément réalisés en auto-construction, avec une main d’œuvre peu voire non qualifiée, et avec les matériaux produits sur site, dès les années 1990 ces techniques ont suscité l’intérêt des professionnels. Des entreprises artisanales normales exécutent aujourd’hui des ouvrages en terre, d’autres se spécialisent exclusivement dans ce domaine. La demande croissante a permis le développement rapide de matériaux en terre prêts à l’emploi à usage varié : briques, mortiers, enduits, mélanges à bancher lourds ou allégés, panneaux d’argile de toutes dimensions. »